Yves Broussard
Poète méditerranéen d’expression française. Né à Marseille en 1937, décédé à Gap en 2018. De 1960 à 1963 est membre du Comité de rédaction de la revue Action Poétique. En 1970 participe avec Jean Malrieu à la création de la revue SUD dont il assurera la direction de 1976 à 1997. Actuellement directeur littéraire de la revue Phœnix et membre du Conseil de rédaction de la Revue des Archers (Marseille) et des revues roumaines Unu et Cronica. Ses poèmes sont traduits en albanais, allemand, anglais (USA, Irlande, Australie), arabe, bulgare, chinois, espagnol, estonien, grec, hébreu, italien, japonais, ouzbek, portugais, roumain, russe, tchèque, ukrainien…
A beaucoup voyagé : en la « vieille Europe », mais aussi en Tchécoslovaquie, Roumanie, Afrique du Nord, Chine, Yémen, Israël et, du temps de l’URSS, de la Baltique à la Caspienne via la Mer Noire. En 1998, la ville de Marseille lui a consacré une grande exposition rétrospective sous le titre Habitant la terre, Yves Broussard, poète.
Conseil de rédaction
BIBLIOGRAPHIE
BIBLIOGRAPHIE SELECTIVE
Traversée de l’inexorable, SUD, Prix Antonin Artaud 1983
Milieu de l’épure, SUD, 1985
Nourrir le feu, SUD, Prix Guillaume Apollinaire 1987
Paroles de silence, Postface de Daniel Leuwers, SUD, 1988
Esquisses pour un autre lieu, SUD, Prix Henri Mondor (Académie Française) 1991
Sous le vif de l’être, SUD, Le Taillis Pré, 1991
Habitant la terre, Éditions des Moires, 1995
La Vie interprétée, Talus d’approche, Prix Charles Vildrac (Société des Gens de Lettres) 1997
Le Regard ajusté, Éditions des Moires, 1997
Œuvre de vie, Éditions des Moires, 1997
Grand angle (Poésie 1960-1990, Anthologie, préface de Daniel Leuwers), Le Taillis Pré, 1997
Passant obstiné, Autre Temps, 1997
Poeme, Cogito, (bilingue français-roumain, traduction de Valeriu Stancu), 1997
Operă de viaţă, Helicon, (bilingue français-roumain, traduction de Rodica Bogdan), 1998
Héritier du temps, Éditions des Moires, 1999
Moştenitor al timpului, Libra, (traduction roumaine de Claudia Dimiu), 1999
Juste ceci, Le Cherche Midi éditeur, 2000
Le Bestiaire insoupçonné, Le Taillis Pré, 2001
Pauvreté essentielle suivi de Digressions, Les Écrits des Forges / Autre Temps, 2001
La Nuit tremblée, Le Taillis Pré, 2002
Asta e, Libra, (traduction roumaine de Constantin Abălută), 2002
Mesures de la vie, Le Taillis Pré, 2004
EXTRAIT
à Jean Poncet
Cette fissure dans le mur
apostrophe la terre entière
Vieillir ne signifierait rien
si l’on n’appréhendait pas toujours
l’avancée du temps
comme montée vivifiante
des larmes pures
Et si l’on n’attisait plus
le même feu
pour conjurer le même mal
sur la nacre des habitudes
Il en va du monde
comme de ces flammèches
fébriles
aux confins du perceptible
elles ne redoutent
ni la fuite éperdue
des atomes
ni les éboulis du temps
(Extrait de Grandeur nature, Le Taillis Pré, 2010)
Hommage à Yves Broussard
(Marseille 1937 – Gap 2018)
Tout poète commence sa carrière après son décès. A nous, survivants provisoires, de retrouver dans les mots qu’ils nous laissent la silhouette de leurs vies. Je relis à la volée la vingtaine de recueils publiés par Yves. Mon constat est sans ambigüité : il est resté fidèle à une manière, à un style épuré – un de ses titres n’est-il pas Milieu de l’épure ? – où se profilent sa constante discrétion, son tempérament réservé, sa volonté de suggérer un au-delà de la parole, la transcendance émerveillante de forces invisibles. Mais cette invisibilité, réceptacle d’infini, est à deviner depuis l’ici-bas contemplé avec l’attention minutieuse d’un cherchant. Auteur de La Vie interprétée (talus d’approche, 1996) il dépeint ainsi sa recherche, tout empreinte de spiritualité :
Dans l’inconnu du ciel
j’arpente le mystère
Les nuages parfois
ajoutent à ma déréliction
Passager clandestin des anamorphoses
je m’aventure
en la transgression
des signes
Je m’explique assez bien, par cet affleurement d’une interrogation métaphysique maintenue à travers toute l’œuvre, la compréhension et l’écoute amicale que rencontra Yves Broussard chez le poète Yves Namur, lui aussi tourné vers un questionnement comparable, et dont la passion d’éditeur l’a incité à publier dans sa maison du « Taillis Pré » (Châtelineau, Belgique) trois recueils majeurs du poète marseillais : Grand Angle (1997), Mesures de la vie (2004), Grandeur nature (2010).
Pour autant, la quête de Broussard sait se faire charnelle et exultante, comme dans les deux poèmes suivants :
regarde comme tout est beau
le ciel
la nuit qui tombe
cette lueur rouge sur la colline
tous ces champs étalés en contre-bas
nous roulons
tu chantonnes à côté de moi
je t’embrasse par à-coups
tu es ma femme
déjà
(in Commune mesure, 1968)
pour Christelle
J’écoute sur ma poitrine
battre le cœur
de m fille endormie
L’après-midi s’attarde sous les saules
ô vertiges d’un instant de grâce
À portée de la main
parmi les cris d’oiseaux et les rires
résolument
les fruits mûrissent dans l’été
(Dans La lumière froide de Valserres, 1981)
Que doit son « Bestiaire des solitudes » – qui avait rejoint Nourrir le feu (1979) – à Apollinaire ou à René Char qui lui écrivit un jour ce conseil : « Ne vous laissez jamais toiser » ? À l’instar des « fascinants » de ce dernier, les instantanés broussardiens font méditer sur nous-mêmes :
L’Alouette : Oblique destinée / La voix de l’écolier ne t’atteint pas
Le Serpent : Plus vive/ la douleur s’inscrit en spirale // et pique/ au cœur / le plus profond
Le Lézard : Le soleil s pose sur son dos / et le cloue à la pierre // L’instant domine
C’est Jean-Max Tixier qui avait écrit, à propos de l’éclair : « Le ciel se fend d’un lézard bref. »
Chez Yves Broussard la tendance à l’aphorisme détermine, comme chez Tixier et Lovichi, la brièveté et la densité de ses vers, et aussi leur part d’énigme. Ainsi « Dans l’éphémère du dit », dédié à Georges-Emmanuel Clancier, recueilli dans Pauvreté essentielle, 2001 :
L’illimité
s’enhardit
en nos mémoires
où s’affine
un dieu
suspendu
Cette parole d’espoir et de doute aura caractérisé la voix du poète, que j’ai entendue en rejoignant en 1978 l’équipe de la revue SUD qu’avait fondée Jean Malrieu et dont Yves Broussard reprit le flambeau après la disparition de celui-ci. Puis vint, à l’initiative de Gérard Blua, la « résurrection » d’Autre SUD, dont Yves restait le directeur tandis que Jacques Lovichi en était le rédacteur en chef. Avant que Phœnix n’acquière son indépendance, Téric Boucebci offrait à notre revue, officiellement née en 2011, l’abri de son association, et Yves continua le travail avec nous. Soulignons les reconnaissances dont il n’a pas manqué, ayant été lauréat des prix Antonin Artaud, Guillaume Apollinaire, Henri Mondor (Académie française), Charles Vildrac (Société des Gens de Lettres) et Lucian Blaga (Roumanie). Cependant c’est à nous qu’il incombe désormais d’entretenir sa mémoire, et d’augmenter, autant que nous en serons capables, la connaissance de son univers poétique (ainsi d’ailleurs que celui de Jacques), l’art véritable ayant cette capacité de survie, refusée à l’humain créateur.
André Ughetto