N° 38, hiver 2022 – Ecrivain invité
Gianni D’Elia
Bien connu en Italie pour la machine à écrire « Lettera 32 » et le vélo, véritables marques de fabrique, Gianni D’Elia, né en 1953, représente une nouvelle génération de poètes en rupture avec le dogme avant-gardiste de rigueur depuis les années 1960 dans la littérature officielle de la Péninsule : revues, médias, université. Renouant avec la métrique et l’unissant à une syntaxe agile, l’expression souvent ambiguë que privilégie Gianni D’Elia donne forme à un intérêt renouvelé tant pour « la matière » – en particulier la vie quotidienne et les paysages marins de Pesaro, sa ville natale et synecdoque du monde occidental contemporain – que pour « l’histoire », en premier lieu l’expérience fondamentale de la contestation politique des années 1970, dont il s’éloigne pour épouser pleinement une activité littéraire mâtinée cependant d’engagement citoyen.
Fort de ses lectures de Pasolini et de Penna ainsi que de l’amitié de Fortini et de Roversi, D’Elia publie en 1980 son premier recueil, Non per chi va (nouv. éd., Marcos y Marcos, 2001). Giulio Einaudi, le Gallimard italien, le consacre parmi les voix émergentes dans le panorama italien en 1989, en accueillant Segreta, préfacé par Mario Luzi, lequel souligne sa capacité à saisir le vécu quotidien : « Rien de frontal ni de direct : des fragments d’expérience, concassés le long de parcours divergents et vagabonds qui, à partir de la perception, parviennent à se faire connaissance provisoire. Ils prennent la forme de constructions verbales et rythmiques malléables, abstraites seulement en apparence ; car peu d’expressions, aujourd’hui, captent le vécu de façon aussi capillaire que le font, furtivement et de biais, par instants et fulgurances, les quatrains de D’Elia dans leur séquence organisée, dans leur continuum. » C’est chez Einaudi que D’Elia publie ses principaux recueils, jusqu’à Fiori del mare (2015), précédé en 2010 de l’auto-anthologie Trentennio. Versi scelti e inediti 1977-2007. Dans sa large production, il n’hésite pas à traduire poétiquement les sujets d’actualité, de l’essor du « berlusconisme » (Notte privata, 1993) au sida (Sulla riva dell’epoca, 2000), de « Ground zero » (Bassa stagione, 2003) aux débarquements des migrants (Trovatori, 2007). Son dernier recueil publié à ce jour, auprès de l’éditeur Luca Sossella, s’intitule Il suon di lei (2020).
En compagnie de sa « muse », Anna, D’Elia fonde et dirige la revue Lengua (1982-1994), articulant intuition, sentiment et pensée, et se consacrant à la transmission d’une ligne de poésie inspirée de la grande tradition italienne « hérétique », sur les brisées de la revue Officina (1955-1959) dirigée par Pasolini et Roversi, qui poursuivait un « réalisme idéologique, lié à une philosophie ».
Sa production comprend des romans comme la trilogie Gli anni giovani (éd. complète : Transeuropa, 1995), des pièces de théâtre, des essais littéraires comme le foisonnant L’eresia di Pasolini. L’avanguardia della tradizione dopo Leopardi (Effigie, 2005 ; nouv. éd. 2015) ou politiques comme Il Petrolio delle stragi (Effigie, 2006 ; nouv. éd. 2016), des traductions littéraires pour Einaudi, notamment de Gide (Les Nourritures terrestres,1994) et de Baudelaire (Le Spleen de Paris, 1997), et des articles de presse, les plus récents étant réunis dans Riscritti corsari, Effigie, 2009.
De son recueil le plus connu, Congedo della vecchia Olivetti (1997), a été publiée une traduction française due à Bernard Simeone : Congé de la vieille Olivetti. Édition bilingue, Comp’Act – La Polygraphe, 2005. D’autres traductions françaises par Jean-Charles Vegliante ont paru dans la Toile, dans Les Carnets d’Eucharis, 2016.
Luigi Sanchi