Note de lecture

Joë Bousquet, Au seuil de l’indicible, éditions Arfuyen, textes rassemblés et présentés par Claude Le Manchec

Il y a tout juste un an paraissait dans le numéro de Novembre-Décembre de la revue Europe un « dossier Joë Bousquet » (1987-1950), présenté par Jean-Gabriel Cosculluela, dans lequel on pouvait deviner, vie et œuvre mêlés, la grandeur de ce qui nous porte toujours comme de ce qui nous dépasse et voir en lui un de ceux qui continuent à ouvrir nos yeux de vivants.

On le savait. Joë Bousquet (1897-1950), le poète immobile de Carcassonne, comme on le dit parfois  – oubliant que « l’immobile est toujours ailleurs » comme il l’écrit dans La tisane de sarments – suite à l’abeille de plomb reçue le 27 mai 1918 sur le front de l’Aisne à Vailly, vivra dans sa chambre du 53 rue de Verdun à Carcassonne au milieu des couleurs de ses amis peintres – quelques centaines de toiles d’ Ernst à Fautrier en passant par Tanguy, Miro, Dubuffet… – des livres qu’il recevait et des revues dans lesquelles il intervenait, entouré d’amis et de bien des amours dont ses lettres à Marthe, Fany, Ginette, Poisson d’or,… témoignent.

Aujourd’hui, grâce aux éditions Arfuyen et au travail de Claude Le Manchec, nous pouvons prendre en écharpe les années allant de 1928 à 1949 et suivre la manière dont Joë Bousquet s’est rendu présent à son temps en participant activement à la vie de très nombreuses revues de poésie. Ce ne sont pas moins de 44 articles extraits de 11 revues qui ont été choisis, regroupés et classés en tranches de 5 années par Claude Le Manchec qui présente l’ensemble comme « un véritable journal de lecture » où l’on trouve les principaux acteurs de cette première moitié du XXème siècle, non seulement des poètes mais aussi des romanciers et des essayistes. Sauf à faire défiler un catalogue d’ombres sans substance, on ne saurait les citer tous, disons qu’en dehors des précurseurs comme Arthur Rimbaud, les premiers sont les surréalistes – Breton, Eluard, Péret, Aragon, Artaud, Desnos, Char…- on ne saurait passer sous silence les quatre articles sur Paul Valéry et quelques articles plus importants dont ceux sur O.V. De Lubicz-Milosz – signalons que ses Œuvres viennent de paraître dans la collection Quarto – et notamment le Lumière, infranchissable pourriture sur Pierre-Jean Jouve, sans oublier l’important article sur Les Fleurs de Tarbes de Jean Paulhan, présentée comme « une œuvre événement », « l’aventure métaphysique d’une conception artistique ».

Parmi les revues choisies par Claude Le Manchec, relevons que la revue marseillaise des Cahiers du Sud (1925-1966) apparaît 26 fois sur 44 ! C’est dire son importance aux yeux de Joë Bousquet qui commença sa collaboration en 1928 à propos de Le grand jeu de Benjamin Péret et la termina sur Le Très-Haut de Maurice Blanchot en 1948. Pendant plus de 20 ans, après la mort d’André Gaillard en 1929 qui introduisit le surréalisme dans la revue, Joë Bousquet sera « le totem pensant », « le directeur de conscience », « la lumière », – ces mots sont de Jean Ballard, son directeur -, celui qui sut toujours proposer des sujets nouveaux, éveiller des envies ou des craintes, multipliant ses interventions auprès de Jean Ballard, qui à partir de 1930 fera souvent entre Marseille et Carcassonne le « voyage du cœur ». Interventions qui iront parfois jusqu’à déstabiliser celui-ci et son comité de lecture où siégeaient entre autres Léon-Gabriel Gros, Gabriel Bertin et le poète Jean Tortel, bien trop oublié aujourd’hui : « il m’importe, dira Joë Bousquet à Jean Ballard en février 1943, d’avoir mes assises aux Cahiers comme s’ils étaient l’agrandissement de ma chambre. »

Il lui répéta souvent cette idée selon laquelle les revues témoigneraient plus fidèlement que les livres en faveur de leur temps. Reste à savoir pourquoi et comment cette intense activité critique pourrait être porteuse de ce témoignage. Reste à garder en mémoire que la critique introduite par André Gaillard, adoptée par Joë Bousquet, est aux antipodes d’une critique rationnelle qui cherche à expliquer et à fonder ses jugements. Ici, on évoque l’ouvrage au travers d’une écriture poétique où l’auteur est engagé. C’est une critique d’adhésion. Il s’agit de saluer une œuvre, d’inviter le lecteur à la lire pour vivre cette « aventure du langage » qu’est le poème. Ici, point d’analyses-commentaires mais bien des textes révélant autant leur auteur que le livre dont ils parlent. Pour Joë Bousquet, l’activité littéraire était une façon de vivre : le poète « un être-de-poésie » et la poésie, le seul langage qui, supposant « l’accueil qu’un homme fait à sa vie », était propre « à dicter de la vie », pas celle des « gensdelettres » qui donnent du rêve à consommer aux anesthésiés que nous sommes mais celle de ceux qui s’efforcent de répondre à la vérité enfouie des faits, libérant par là-même la vie qui vient et engageant par-là de l’humain. Et de l’humain en formation.

Les revues pour Joë Bousquet – et tout spécialement Les Cahiers du Sud ! – devaient être traversées par un souffle qui mettrait la vie sur leurs lèvres. Elles devaient être un lieu balayé par un parler vivant, un domaine, miracle rare, où « la source inabordable se révèle avec des mots parlant aussi bien la langue de l’abstraction que celle des images » dira Joë Bousquet à Jean Ballard.

Et ce livre : Joë Bousquet, au seuil de l’indicible nous le montre éloquemment. 

Toujours Joë Bousquet paria pour la vie, son passage, ses souffles, quelque chose d’impur et de maladroit » parce qu’il pensait que c’était là-dessus que s’appuyait l’imagination : « la vérité, écrira-t-il dans le credo dualiste, est toujours au large de la certitude. Elle ne se laisse pas saisir, mais se saisit de nous et de ses révélations nous inspire et nous grise. »

Alain Freixe

François Bordes, Zone perdue, par Anne Mulpas

Zone perdue – fragments d’itinérance. Je reprends ma chronique. Sa première version date déjà d’il y a trois semaines. A L’ours & la vieille grille. Sa deuxième version s’impose après mon cheminement dans l’exposition Rothko. Me voici au troisième temps du texte, à moins que ce ne soit le quatrième, le centième…

lire plus

Étienne Faure, Vol en V, éditions Gallimard – par Anne Gourio

Note de lectureComme on suit, fasciné, la trajectoire des oiseaux migrateurs, le dernier recueil d’Etienne Faure puise dans le ballet aérien de leur « vol en V » un sens de l’élan, du franchissement, du frayage qui se nuance en légères et souples inflexions au fil des espaces traversés à...

lire plus

Frédérique Guétat-Liviani, Il ne faudra plus attendre un train, éditions LansKine – par Étienne Faure

Ce recueil emprunte son titre à l’une des trois parties qui le composent : si c’était le cas, (passe) ; il ne faudra plus attendre un train. En découvrant cette composition, on pense spontanément à un ensemble où viendrait s’intercaler le texte de (passe). Puis l’œil et l’oreille distinguent vite une même voix, dans ces deux pans, deux partis pris formels différents dans le cheminement de l’écriture de Frédérique Guétat-Liviani.

lire plus

Le journal des poètes 1/2022 – par Nicolas Rouzet

Le Journal des Poètes, numéro 1 de l’année 2022 – La langue est aussi frontière, nous dit Jean-Marie Corbusier, pratiquer un art, c’est toujours ouvrir quelque chose qui est présent autour de nous. C’est d’un même esprit d’ouverture que témoignent les poètes luxembourgeois auxquels est consacré le dossier présenté par Florent Toniello. Ici les langues dépassent les frontières, elles se chevauchent…

lire plus