La librairie de Guy Debord, Poésie, etc., L’échappée, 2019.
Après un premier volume consacré à la stratégie (lire Phoenix, n° 32, p. 176-177), les éditions l’échappée poursuivent la publication des fiches de lecture de Guy Debord avec ce dossier intitulé par Debord lui-même Poésie, etc. On y trouvera, outre la Bible, les classiques du théâtre (Calderón de la Barca, Molière, Shakespeare), plus largement ceux du roman (Cervantes, Goethe, Melville, Proust, Stendhal) et différents genres de poésie, d’Homère à Fernando Pessoa, en passant par Dante, Cavalcanti, Hölderlin, Baudelaire, avec une place particulière pour la poésie chinoise. Debord fut en effet à l’initiative de la réédition du volume Poésies de l’époque des Thang (Champ libre, 1977).
La postface de Gabriel Ferreira Zacarias éclaire la place centrale de la littérature dans l’œuvre de Debord tout au long de sa vie, depuis sa jeunesse lettriste jusqu’à son style classique de la fin de sa vie. Elle insiste aussi à juste titre sur le fait que la fascination que l’œuvre de Debord a exercée tient, outre « la pertinence de ses analyses théoriques », à « leur force poétique, qui éloignait ses textes de la platitude habituelle des textes militants ». Elle évoque également le rapport de Debord au surréalisme et à l’écriture de soi qu’il pratique par le détournement et l’emprunt de citations afin de parler de lui avec les mots des autres. Elle nous éclaire enfin sur le titre de ce volume où il n’est pas question que de « poésie » au sens strict, mais, plus globalement, de tous les genres de littérature. En effet, avant Debord, Lautréamont avait intitulé Poésies un livre qui ne contenait pas de poèmes. Et c’est dans celui-ci que Debord avait trouvé la formule qu’il fit sienne : « Le plagiat est nécessaire, le progrès l’implique. » C’est donc d’une « poésie élargie » qu’il se réclame car, pour lui, « le mot poésie semble porter une charge plus proprement affective, ce qui convient aux intentions d’un auteur ayant toujours exploré le potentiel de l’art pour changer la vie. » Et, évoquant le quartier de Saint-Germain-des-Prés de sa jeunesse et ses habitants, Debord évoque « la poésie moderne, depuis cent ans, qui nous avait menés là » afin d’« exécuter son programme dans la réalité ». Pour l’heure, la réalité est dominée par des décennies de contre-révolution ; on ne sait pas de quoi demain sera fait…
Charles Jacquier