Note de lecture

L’Atelier Contemporain, 10 ans, 200 livres, une Maison, par Bernadette Engel-Roux

Aujourd’hui que nous ne recevons (presque) plus de catalogues d’éditeurs (certains se rappellent peut-être ces petits cartons insérés dans chaque ouvrage et qu’il suffisait de remplir et renvoyer pour « être tenu informé de nos publications ». Et comment aurions-nous fait sinon dans nos vies sans internet de préhistoriens ?), aujourd’hui donc, nous contemplons, étonnés, le Catalogue de papier : 10 ans, 2013-2023, 200 livres que nous offre [1] L’Atelier Contemporain, en la personne de son Maître-Ouvrier : François-Marie Deyrolle, si discret qu’il nous importe d’autant de le nommer et que sa Maison et lui-même se confondent souvent.

Nous contemplons, étonnés, et soupesons [2] le bel objet qu’est ce Catalogue. Car c’est un vrai livre dont tout a été soigné : on imagine à peine les tâtonnements sur maquettes, graphisme, mise en pages, choix de textes, couleurs, et tout ce qui fait un objet-livre. Et ce bel objet-livre dans nos mains.

Non, le « Beau Livre » n’est pas notre fait. (On pense à ces luxueux livres d’images aujourd’hui fort bien reproduites, certes, qu’on offre à Noël pour décorer des étagères et que personne ne lira). Mais on aime que chacun des livres sorti de L’Atelier Contemporain, soit beau. Ainsi soigné et magnifique (étymologiquement), ce Catalogue.

La personne de FMD. Mais aussi une poignée, c’est peu mais c’est précieux, de collaborateurs, assistants, conseillers, amis et artistes comme autant de petites mains, ainsi qu’on dit en couture, en haute couture exactement, assemblent les pièces et morceaux de ces textes si finement et lucidement choisis par FMD pour vivre enfin leur vie de livres édités.

Dix ans et deux cent livres, comme autant de nefs parties pour l’étrange aventure de constituer ce Catalogue et cette Maison d’écrits sur l’art, qui prolongent la première vie de la Revue que nous avons connue, sous ce même nom, et qui posait la question fondamentale « Pourquoi écrivez-vous sur l’art ? ».

Nefs avec à la proue le nom d’un écrivain, critique ou poète – ou les deux – et celui d’un artiste, peintre ou photographe.

Et peu à peu les livres s’ajoutent et se distinguent jusqu’à devoir s’inscrire dans ces collections. Chacune, nécessaire et singulière.

Écrits d’artistes, pour ne pas oublier « que les artistes sont les premiers à penser leur pratique », donne à entendre la voix des praticiens de l’art. Celle de Francis Bacon, dans une vingtaine de Conversations, la Conversation Sacrée de Patrice Giorda avec Piero ou Goya, celle, amicale et distante, de B. Engel-Roux découvrant à elle-même et à chacun l’œuvre exigeante et intempestive de Jean-Louis Bentajou. Les Observations conduites pour lui seul de Pierre Bonnard ou les Soliloques de Georges Rouault.

& assemble des correspondances, comme Ces petits tas d’ombre et de lumière qui recomposent la vie intime et créatrice d’Alice Baxter & Frédéric Benrath, ou L’hypothèse du désir que posent ensemble Leonardo Cremonini & Regis Debray.

Essais sur l’art, nous fait percevoir les « rapports d’intimité » que Jean-Louis Baudry, dans L’enfant aux cerises, a pu entretenir avec Manet, Vuillard ou Tintoret. Le geste du regard de Renaud Ego nous fait deviner ce qu’a pu être l’apparition des peintures de la Préhistoire, assister à la genèse qui a rendu possible l’émergence de cet art singulier par lequel tout commence. Le regard encore, sa « folie » son « désir » dans les deux livres de Laurent Jenny. Ou les Géographies d’un désir, d’Orient, de Christine Peltre. Une réponse sans fin tentée de Pierre-Alain Tâche, pour faire écho à la fascination exercée sur lui par Claude Garache ou Alexandre Hollan, entre autres. Une collection qui nous permet de pouvoir relire enfin des textes disparus, comme cet Admirable tremblement du temps de Gaëtan Picon.

La collection Beautés avoue « aimer autant ce que l’expérience de l’art peut avoir d’amateur que ce que les musées et le marché offrent à voir ». Phalènes, Squiggle, deux autres collections nécessaires, retiennent et développent les noms de Bonnefoy et Hollan, Louis-René des Forêts, Faradh Ostovani, Pollock. On trouvera dans la collection Constellations « des ouvrages qui retracent l’histoire de personnalités marquantes du champ de l’art, des lieux qu’elles ont fait vivre, des relations qu’elles ont tissées ». Studiolo nous offre en petits formats des épuisés indispensables à notre méditation sur l’art, comme les éblouissants et profonds Manet et Lascaux de Georges Bataille, le singulier Facteur Cheval et son Palais idéal, d’Alain Borne, La forêt sacrilège de Piero Di Cosimo d’Alain Jouffroy, le Turner de Ruskin.

Non, à ne pouvoir relever tous les titres de ce substantiel Catalogue, nous disons à peine la collection Photographie : Nathalie Savey sur des textes de Philippe Jaccottet, ou le Hors Collection, pour ne pas perdre les précieux numéros de L’Atelier Contemporain/Revue.

La collection Littératures s’est un jour imposée. Parce que le souci de beaux textes habite FMD plus que celui d’érudition. Parce que peinture et poésie, depuis si longtemps… « Littératures entend représenter une approche curieuse de la création littéraire contemporaine. Poésie, récits singuliers : sans autres guides que la surprise et l’émotion ». Ainsi Les corps vulnérables, le thrène de Jean-Louis Baudry, 1200 pages de littérature pure ; les Entretiens avec André du Bouchet, où le poète « parle comme s’il se parlait à lui-même », l’énigmatique cosa de François Bordes ou tout simplement parce que nous l’aimons beaucoup, le dialogue que Christophe Grossi entretient avec ses « ancêtres invisibles », dans Corderie. Les Écrits intimes de Guillevic qui nous découvrent un écrivain au seuil de son œuvre. Ou enfin, parce qu’il faut bien s’arrêter – fût-ce à regret, pour ce magnifique Catalogue – parce que nous aimons dessin et poésie, arbres et rivières, marche et écriture, la marche-écriture à deux voix deux mains, d’Eric Pessan et Patricia Cartereau, Le long des fissures.

Pour ne pas fermer le livre trop vite, nous rêvons sur les promesses annoncées des à paraître, et qui révèlent, si nous ne les savions déjà, la folie téméraire de François-Marie Deyrolle, son courage, son ambition, sa jeunesse.

Alors, longue vie à la Maison, à son Maître d’œuvre, à son équipe de proches, à son faramineux Catalogue.

Bernadette Engel-Roux, avril 2024.

[1] Ledit Catalogue, ainsi offert, est épuisé. Il circulera maintenant sous forme numérique (https://www.editionslateliercontemporain.net/IMG/pdf/atelier_contemporain_10_ans_catalogue_ge_ne_ral.pdf).

[2]  Un Catalogue de près de 500 pages, des livres de 16 à 1200 pages, de 5 à des centaines d’illustrations… Mais dont les chiffres impressionnants ne font rien à l’affaire.

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