Note de lecture

Marilyne BERTONCINI et Wanda MIHULEAC, Sable (Sand), Ed Transignum, par Murielle COMPÈRE-DEMARCY

Sable (Sand),  Marilyne BERTONCINI et Wanda MIHULEAC, Éditions Transignum

Trad. en allemand Eva Maria BERG, Postface Laurent GRISON

[58 p.]- 17 €

L’œuvre de Marilyne Bertoncini puise régulièrement dans la Mythologie antique et l’Imaginaire collectif pour appréhender, afin de les mettre en lumière, les facettes d’une réalité humaine complexe. Ainsi la figure d’Ariane face au Minotaure, ainsi Damnatio Memoriae abordant le trauma dégénératif provoqué par les fissures de la mémoire lorsque cette dernière s’effondre sous les assauts morbides de l’oubli, …

Ici, le livre de Sable s’écoule comme le temps file entre nos doigts au rythme de la figure maternelle dont la perte ouvre une brèche, franchissable, mais inguérissable, et dont le souvenir avant l’irruption de sa survenue demeure infrangible.

L’édition franco-allemande de Sable repose sur un poème de Marilyne Bertoncini, traduit en allemand par Eva Maria Berg, et accompagné de douze reproductions d’après des œuvres originales de Wanda Mihuleac. Mis en pages et images par Sylvain Kaslin, Le livre bénéficie d’une postface rédigée par le poète, historien de l’art et critique Laurent Grison.

Le grain de sable, symbolique du temps qui passe et que l’on égrène entre les doigts à l’instar des souvenirs que la mémoire tourne comme les pages d’un livre, roule à l’instar d’une plage recouverte et laissée par la mer, signifie bien ici la problématique de ce recueil dont l’axe s’articule autour du caractère éphémère du temps (l’instant) face à la figure pérenne, voire éternelle, de la mère. Naît de l’espace poétique et pictural, ainsi que le souligne justement Laurent Grison dans la Postface,  « l’espace d’un instant / le temps de l’espace », le sens même de la vie et de l’art, chevillés au corps de l’âme comme la mer inséparable du sable (« effet-mer / éphémère » (L. Grison)… Écrire en regardant la mer sans relâche… Marguerite Duras, souvenons-nous en, avait publié La mer écrite ; deux voix ici résonnent, celles de Marilyne Bertoncini et de Wanda Mihuleac (dont les deux initiales de prénom forment comme une pampre anguleuse inversement rotative autour d’un même thyrse, comme un roulement de vague dont la lame remue un paysage neuf, inédit, ou qui, en leurs deux lettres « M » et « W » superposées, forment « un sablier »  versé/inversé/renversé (L. G.) ) – deux voix ici écrivent la mer/mère, dans le mouvement même déroulé par l’espace-temps poétique. Ainsi ce Sable ici s’enracine et déploie ses racines dans la mouvance même de ses vagues : les deux voix en résonance laissent émerger une voix dont la profondeur exprime l’origine de la vie, deux voix qui

 

se mêlent à l’orgue des oyats

réverbèrent le silence immense

de son cri

 

de son absence

 

« Sous l’or du désir » Danaé reçoit du dieu des dieux, maître de l’Olympe, une pluie d’or qui la féconde et dont elle donne naissance à Persée, futur vainqueur de Méduse. Danaé symbolise la puissance féminine résistante, même si son destin funeste la condamnera à finir ses jours emmurée vivante. Toute une symbolique, reliée à l’œuvre de Marilyne Bertoncini, nous fait revisiter la figure de la Femme combattante contre les forces nuisibles (pour Danaé, combat contre le père qui l’enferme dans une tour d’airain, combat contre le destin (fatum) puisqu’elle parvient malgré tout à enfanter par le biais d’une intervention divine (Zeus), combat d’une mère réhabilitée par son fils qui réussit à la ramener à Argos, combat d’une femme contre un homme, le roi Polydecte, qui épris d’elle veut la forcer à l’épouser).  Fondatrice d’après Virgile de la ville d’Ardée, Danaé est également mentionnée dans les tragédies d’Eschyle, d’Euripide et de Sophocle (Antigone) et symbolise la terre souffrant de sécheresse, sur laquelle une pluie fertilisante descend pour lui redonner une seconde vie (allégorie de la Femme souffrant d’amertume et/ou de maltraitance et que la destinée, par la force du combat, va restituer dans sa dignité en lui permettant au mieux de s’accomplir).

 

O corps de Danae enseveli sous l’or

du désir    sable     devenu

 

meuble et fluide manteau instable

là  pénètre        la     dissout

flamme                   palimpseste

d’elle-même

 

L’effacement de la femme s’annule dans ce livre de Sable, en soufflant sur le risque d’extinction du feu, en soufflant sur ce qu’il reste de braises, afin que la voix de la Femme ne meure pas tout à fait parce qu’elle serait ensevelie sous la contrainte ou la force d’une domination (en latin, rappelons-le, le maître dominateur face à son serf se nomme « dominus ». À contrario, le poème proviendrait d’une voix « magistrale », autrement dit d’une voix élévatrice éclairante contestataire, combattante au nom de la lumière et résistante au service ici d’une voix opprimée, celle de la Femme).

 

Effacement – ce ment -ça bleu

Les sables meubles et sans traces

Et la femme sans face               sang

 

Souvenons-nous aussi de l’esclave jadis considéré comme « un bien meuble », négociable et asservi à volonté. Surgie du sable la Femme se dresse, poitrine de Marianne exposée à la violence mais prête au nom de sa liberté, au nom de la Liberté, à mener le combat de sa dignité. C’est la Liberté défendant ses droits sur les barricades ; c’est « le souffle de la femme » victorieuse de « l’ogre de sable-ocre (qui) dévore sa parole ». La poétesse se lève aussi et se dresse aux côtés de toutes les femmes afin de tenter d’en libérer la parole :

 

Le souffle de la femme

Eve sans lèvres           sans bouche

sous le bâillon

soulève à peine d’infimes   tourbillons près de ma tête

cuisant dans la lumière des cistres et de l’iode

 

Le souffle de la femme (Der Atem der Frau, en allemand) écrit, via la partition à quatre mains de la poétesse Marilyne Bertoncini et l’artiste Wanda  Mihuleac, « le mandala de l’espérance / Chemin   barbelé   vers / la sortie du labyrinthe / de solitude et de souffrance ».

 

Je crie 

                j’écris 

 

s’écrie la voix de la femme-poète, se levant de dessous la dune de tout son corps mis à nu et se dressant dans un geyser de sable, sa « main écorchée (portée) à la couronne barbelée » arrachant la face de l’ogre jusqu’à ce que s’écroule la dune, jusqu’à ce que saigne et se rouille l’éclat de la honte sur les faux oyats de l’infinie plage sauvage.

L’effacement de la femme s’annule également dans ce Sable, en réhabilitant la figure et l’image en fuite de la mère perdue. Un combat contre l’ensevelissement de la mort s’engage par les mots de la poétesse Marilyne Bertoncini, via les reproductions artistiques de Wanda Mihuleac, qui luttent contre l’anéantissement d’une figure féminine à l’origine de la vie, de nos vies. De même que la mer recouvre et modifie la terre ensablée à chacun de ses passages, de même le temps qui file entre dos doigts efface progressivement les traces vivantes de nos chers disparus, et c’est à la force vive des mots que le poète, l’artiste, luttent contre cet effacement via la créativité de leur mémoire, de leur présent.

 

Chaque vague soulève à grand-peine

une nappe       emporte

la trame des mots

l’efface et   seul reste une trace

        mémoire de sable

 

Le poème -à la fois craie/cri friable de la,digue-falaise, mains et bouche de sable aux « yeux-fleurs » de surface ou submergées, et déferlement de la vague- « déboule dévale du giron de la dune », afin  d’écrire la mémoire et la mer/mère, cet éternel présent du passé.

 

© Murielle COMPÈRE-DEMARCY (MCDem.)

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