Note de lecture

Patrick Chastenet, Introduction à Bernard Charbonneau, La Découverte, par Charles Jacquier

Patrick Chastenet, Introduction à Bernard Charbonneau
La Découverte, coll. Repères/Philosophie, 2024, 128 p.

Déjà auteur en 2019 d’une Introduction à Jacques Ellul dans la même collection, Patrick Chastenet livre ici un utile et roboratif petit livre d’initiation aux idées de son compère personnaliste et écologiste gascon, longtemps oublié et méconnu, Bernard Charbonneau (1910-1996). Jugez plutôt : alors que ce dernier était agrégé d’histoire-géographie depuis 1935 et qu’il commença à écrire dès le début des années 1930, il lui faudra attendre… 1963 pour voir son premier livre publié chez Denoël[1] : résultat de sa situation de provincial, de l’originalité de ses positions et de son refus de parvenir dans l’institution (de 1945 à sa retraite, il sera par choix enseignant dans une petite école d’instituteurs à Lescar [Pyrénées-Atlantiques]).

Heureusement, d’année en année, l’œuvre de Bernard Charbonneau est progressivement rééditée, voire éditée pour ses nombreux inédits, et de rares études lui sont consacrées. Parmi ces dernières, le présent livre offre, à ce jour, la seule synthèse qui intéressera aussi bien celles et ceux qui ignorent tout de lui que les autres, qui en savent déjà un petit peu. Accessible, clair et documenté, accompagné de nombreuses citations de Charbonneau, il suit un parcours classique, s’intéressant d’abord à son itinéraire avant d’aborder ses idées en quatre thématiques : sa « conception tragique de la liberté », ses critiques du « totalitarisme industriel » et du « développement exponentiel », enfin son « autocritique du mouvement écologiste ». Dans chaque chapitre, l’auteur insère des encadrés destinés à attirer l’attention sur tel ou texte ou thème saillant de l’œuvre de Charbonneau. Celui-ci est en effet l’analyste systématique des différents aspects de ce qu’il appelle « la grande mue », sorte d’éléphant dans le salon, tellement massif et omniprésent que la plupart de ses contemporains ne veulent pas le voir alors que cela détermine les moindres aspects de notre vie quotidienne. Il en donne la définition suivante : « La croissance technique et économique indéfinie est à la fois le fait et le dogme fondamental de notre temps. Comme l’immutabilité d’un ordre à la fois naturel et divin fut celui du passé. La grande mue qui travaille les sociétés industrielles, et les autres à leur suite, est à la fois la réalité immédiate que nous pouvons appréhender dans le quotidien de notre vie et le moteur profond d’une histoire que religions et idéologies s’époumonent à suivre ; chaque homme l’expérimente à chaque instant et partout, par-delà classes et frontières elle met en jeu l’humanité[2]. » On rappellera juste ici que Charbonneau est l’inventeur de formules comme « on ne peut poursuivre un développement infini dans un monde fini » ou, moins connu mais tout aussi juste : « Car en même temps que la ville se développe le besoin d’en sortir. […] Parce qu’il y a des machines, sur sa machine, l’homme fuit la machine. » Ce maniement magistral du paradoxe n’est qu’une illustration de ceux qui accompagnent le développement de la société industrielle. Suivant la formule qui veut que « le style, c’est l’homme », cela permet à Charbonneau de mettre sous les yeux de ses lecteurs les contradictions évidentes de notre société et de son principe directeur, le développement infini, pourtant négligés ou ignorés du plus grand nombre. Le grand principe qui fonde la démarche de Charbonneau est que l’humanité a besoin à la fois de nature et de liberté et que tout ce qui la prive de l’une et de l’autre, indistinctement mêlées, est à combattre.

Il y a peu de doute qu’en refermant ce petit livre, ses lectrices et ses lecteurs éprouveront le besoin de lire directement Charbonneau. C’est en tout cas tout le mal qu’on leur souhaite. Ils pourront commencer par deux titres : d’abord l’excellent Le Feu vert[3] ([1980] L’Échappée, 2022), son bilan et son autocritique du mouvement écologiste, ensuite Le Jardin de Babylone ([1969] L’Encyclopédie des nuisances, 2002) qui résume le mieux son propos en montrant « comment, après avoir ravagé la nature, la société industrielle finit de l’anéantir en la “protégeant”, en l’organisant ; et comment s’évanouit en même temps, dans cette artificialisation, les chances de la liberté humaine… »

Charles Jacquier

[1] Il s’agissait de Pierre Teilhard de Chardin. Prophète d’un âge totalitaire. Le même éditeur publiera aussi, entre autres, Le Paradoxe de la culture, 1965 ; L’Hommauto, 1967.

[2] Bernard Charbonneau, Le système et le chaos, Sang de la Terre, 2012, p. 7-8. Notons qu’un site internet dédié à la pensée de Charbonneau s’intitule la grande mue : https://lagrandemue.wordpress.com/

[3] http://www.journaldumauss.net/?A-propos-de-Bernard-Charbonneau-Le-feu-vert-2022

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