Note de lecture
Pierrick de Chermont, M. Quelle, Poèmes en prose avec cinq aquarelles de Marianne K. Leroux, L’atelier du grand Tétras, par Karim De Broucker
Février 2024, 128 pp., 20€
Dans ce nouveau livre de poésie, Pierrick de Chermont a le toupet malicieux d’user du terme définir pour présenter son personnage éponyme comme étant « le portrait de celui ou celle qui n’en ont pas », ou bien comme « jardinier, électricien ou homme d’affaires ». De manière plus concrète, à la première page, nous découvrons M. Quelle « placé derrière les lignes d’un livre ouvert », tout occupé à traduire, par des gestes de « gymnastique neutre, […] l’exact mouvement qu’indiquait la succession des mots » d’un livre posé entre les mains de son lecteur (p. 11).
Mais un jour cet espèce d’automate acédieux, qui se suicide volontiers à l’occasion, se retrouve malgré tout chatouillé par « l’odeur unique d’une question » ou le spectacle des étoiles surprises à travers une déchirure du « voile orangé des mégapoles » ; notre personnage se décide alors, profitant d’un coup de vent déclenché par un moment de lecture à voix haute de son lecteur, à « passer de l’autre côté de la page » : enjambant la lèvre de celle-ci M. Quelle, en une scène drolatique, croise son lecteur, et tous deux se saluent poliment « comme deux personnes sortant d’un même ascenseur » (p.28). M.Quelle se retrouve alors plongé dans la pleine mêlée du monde incarné — impossible alors de ne pas songer au Damiel des Ailes du désir.
Et à propos de désir précisément si, au bout de quelques autres pages, on constate qu’à première vue ce franchissement audacieux n’a guère fait sortir M. Quelle de son pragmatisme aquoibonoiste, on peut finir par se dire que ce personnage « gris aux gestes lents », s’il habitait le Nouveau Testament par exemple, ressemblerait beaucoup à Hérode : « quand Hérode écoutait Jean le Baptiste, il était très embarrassé, mais il aimait l’écouter » (Mc 6, 20). Et de fait, M. Quelle qui, comme pourrait le suggérer son nom, s’imagine être « sa propre source » (p 20), n’en reste pas moins de temps à autre alerté, réveillé de sa ‘machinalité’ par les échos d’une autre source que lui-même ; une source qui, d’un poème à l’autre pourrait s’appeler « enfance », « vivre », « poème », « catamaran », « saxifrage »… et le bruissement de cet écoulement tenace jette de plus en plus vivement ce fils de Novlangue jusqu’au « seuil de l’acte de nommer » (p. 41) et le provoque, en définitive, à parler, c’est-à-dire, de toute sa chair et de tout son souffle adressés, à sortir vers son humanité.
Cette petite saga tout à la fois dystopique, mystique et anxieuse, Pierrick de Chermont la déploie avec l’économie solennelle et délicieuse des apophthegmes des pères du désert, le sourire d’un Montesquieu et, pour regarder du côté du 7ème art, pourquoi pas ? le timbre d’un Wes Anderson ou d’un Yorgos Lanthimos. D’authentiques moments de grâce poétique nous saisissent comme des joies, tels cette veillée au coin du feu où M. Quelle est surpris par le bruit de « l’escalier [qui] grinçait du pas de l’enfant qu’il était », ou cette rencontre entre notre héros et un vieil homme assis dans une rue de Delhi : « leur gêne était la grande gloire du jour » (p. 91) ; ou bien encore ces mots, évoquant un nouveau jalon sur le chemin de la « mue désirée » de M. Quelle : « Il hésita, et hésitant, il redevint homme ».
Karim De Broucker
Christophe Mahy, Au bout du compte, suivi de L’âme au large, Gallimard, par Étienne Faure
C’est en deux titres que le nouveau recueil de Christophe Mahy se présente : Au bout du compte, suivi de L’âme au large. Des titres qui s’apparenteraient de prime abord à un bilan et à un éloignement en périphérie de la vie, vers ses embouts : l’enfance et la mort…
Filippo De Pisis, Mais un peu de ta grâce, traduction Franck Merger, Alidades Bilingues, par Karim De Broucker
Depuis les rives du lac d’Annecy, où est sise la maison d’édition Alidades, un bien joli papillon s’est venu poser sur le bord de nos mains : un choix de poèmes de Filippo de Pisis (1896-1956), d’ordinaire mieux connu comme peintre.
Patrick Chastenet, Introduction à Bernard Charbonneau, La Découverte, par Charles Jacquier
Déjà auteur en 2019 d’une Introduction à Jacques Ellul dans la même collection, Patrick Chastenet livre ici un utile et roboratif petit livre d’initiation aux idées de son compère personnaliste et écologiste gascon, longtemps oublié et méconnu…
Joë Bousquet, Au seuil de l’indicible, éditions Arfuyen, textes rassemblés et présentés par Claude Le Manchec
Il y a tout juste un an paraissait dans le numéro de Novembre-Décembre de la revue Europe un « dossier Joë Bousquet » (1987-1950), présenté par Jean-Gabriel Cosculluela…
Christine Guinard, Ils passent et nous pensent, éditions unicité, par Nicolas Rouzet
Ceux qui passent et nous pensent ce sont ces 450 000 républicains, réfugiés de la guerre civile espagnole, qui traversent à pied les Pyrénées à partir de février 1939, pour arriver en France où ils sont ( mal ) accueillis…
Marilyne BERTONCINI et Wanda MIHULEAC, Sable (Sand), Ed Transignum, par Murielle COMPÈRE-DEMARCY
Ici, le livre de Sable s’écoule comme le temps file entre nos doigts au rythme de la figure maternelle dont la perte ouvre une brèche, franchissable, mais inguérissable, et dont le souvenir avant l’irruption de sa survenue demeure infrangible…
Gaëlle Fonlupt, A la chaux de nos silences, ed. Corlevour, par Anne Mulpas
D’un titre – à l’oeil, ce qu’il cherche à entendre de lui-même et du monde. D’un titre, son pouvoir d’accroche, d’évocation. Ciel-qui-lit, ESPRIT ET CIE flashent quelques images en excès de vitesse…
Panaït Istrati, Présentation des Haïdoucs, L’échappée, par Charles Jacquier
Présentation des Haïdoucs est le troisième volume de la tétralogie de l’écrivain roumain d’expression française Panaït Istrati (1884-1935) Les Récits d’Adrien Zograffi, mais chacun d’entre eux peut être lu séparément et celui-ci ne fait pas exception à la règle…
Justin Delareux, Écrase-mémoire, Pariah, par François Bordes
« Poète n’est pas doué pour habiter le monde, c’est le monde qui l’habite, et fait de lui un éternel passeur d’errances. » Justin Delareux est de ceux-là…
Serge Airoldi, Micmac Mécanic, ed. de l’Attente, par Anne Mulpas
Avant, juste au seuil du Tout premier jour — Jarry & Pasolini. Carpe, écrevisse, tanche… ciel-qui-lit se fait serrer direct par un « lacet magique ». Micmac Mécanic. Quezako ?…
L’Atelier Contemporain, 10 ans, 200 livres, une Maison, par Bernadette Engel-Roux
Aujourd’hui que nous ne recevons (presque) plus de catalogues d’éditeurs (certains se rappellent peut-être ces petits cartons insérés dans chaque ouvrage et qu’il suffisait de remplir et renvoyer pour « être tenu informé de nos publications »…
François Bordes, Zone perdue, par Anne Mulpas
Zone perdue – fragments d’itinérance. Je reprends ma chronique. Sa première version date déjà d’il y a trois semaines. A L’ours & la vieille grille. Sa deuxième version s’impose après mon cheminement dans l’exposition Rothko. Me voici au troisième temps du texte, à moins que ce ne soit le quatrième, le centième…
Alicia Dujovne Ortiz, La Maréchale rousse, par Charles Jacquier
Journaliste, biographe, critique littéraire et romancière, Alicia Dujovne Ortiz, née en 1940 à Buenos Aires, s’est exilée en France en 1978 au moment de la dictature militaire et y vit encore aujourd’hui…
Jean-Patrick Manchette, Derrière les lignes ennemies (Entretiens 1973-1993), par Charles Jacquier
Le lecteur se demandera peut-être pourquoi ce recueil de vingt-huit entretiens avec l’auteur de polars Jean-Patrick Manchette (1942-1995) porte ce titre martial, plus adapté à un traité de stratégie….
Colette Klein, Après la fin du monde, par Sylvestre Clancier
Ce livre préfacé par Antoine Spire, président du PEN Club français, est à la fois beau et fort. Il est même poignant par l’expression poétique de son auteure qui mieux que d’autres sait dire la tragédie de l’humain…
Max Alhau, En d’autres lieux, par Sylvestre Clancier
En d’autres lieux, le nouveau livre /poème de Max Alhau, transporte dans un ailleurs familier celles et ceux qui lisent et apprécient l’œuvre poétique de ce poète contemporain majeur…
Élisée Reclus, Histoire d’une montagne Histoire d’un ruisseau, par Charles Jacquier
En 1869, huit ans après la publication de son premier livre – en dehors des guides de voyage auxquels il a déjà collaboré, Voyage à la Sierra Nevada de Sainte-Marthe –, le géographe Élisée Reclus (1830-1905) publie Histoire d’un ruisseau.
Cécile A. Holdban, Osselets, par Anne Gourio
Poursuivant dans Osselets sa veille attentive du sensible, Cécile A. Holdban offre dans son dernier recueil un ensemble de très brefs poèmes associés en séries…
Matthieu Gimenez, L’étendue de la lumière, par Nicolas Rouzet
L’étendue de la lumière, c’est celle que parcourt le jour, entre l’aube, midi et la nuit, les trois temps qui ponctuent ce recueil. Il y a quelque chose du veilleur chez Matthieu Gimenez.
Julie Nakache, Le sang des filles, par Nicolas Rouzet
L’auteur s’empare du thème de la filiation, celle d’une lignée de femmes : reines-mères-guerrières-sorcières…
Dominique Sorrente, Ici ne tient jamais en place, par Nicolas Rouzet
Pas besoin de vous faire un dessin pour vous dire que Dominique Sorrente est un méditerranéen…
Gérard Bocholier, Vers le visage, Éditions Le silence qui roule, par Hervé Martin
Gérard Bocholier est l’auteur d’une quarantaine de livres de poésie. Il dirige la revue ARPA et est responsable de la rubrique poésie de l’hebdomadaire La Vie.
Florence Delay, Zigzag, par Serge Airoldi
Tout livre de Florence Delay arrive toujours avec son remarquable cortège de vivacité malicieuse, d’ardeur intacte, d’intelligence sans cesse renouvelée
François Migeot, Au fil de la chute, par Pierrick de Chermont
L’écrivain, que peut aussi être le poète, ne se recoupe pas forcément. Par exemple, entre l’essayiste de l’Art Romantique et le poète des Fleurs du mal
Jean Luc Marion, La métaphysique et après, par Pierrick de Chermont
Cet ouvrage, comme souvent chez l’académicien phénoménologue, est un récit fleuve portant sur l’enquête historique d’un concept : celui de la métaphysique
Robert Desnos, Poèmes de Minuit – par Jean-Paul Rogues
On ne peut s’empêcher de penser au dîner où un officier allemand déclare « il paraît que l’on vient d’arrêter vos deux plus grands poétes »
Frédéric Boyer, Évangiles, Gallimard – par Pierrick de Chermont
« Nous vivons en présence d’un Érasme de notre temps et nous ne le savions pas ». Voilà ce que nous nous disions lors d’une soirée suivant un récital de poésie…
Jean-Paul Bota, Lieux, éditions Tarabuste – par Étienne Faure
Voici avec Lieux le dernier recueil de Jean-Paul Bota. Un titre qui ressemble décidément à l’auteur et à toute son œuvre
Sabine Huynh, Elvis à la radio, Maurice Nadeau – par Pierrick de Chermont
Finissant ce récit, je m’écriai pour moi-même : « Que de souvenirs pour une sans-mémoire !
Pierre Bergounioux, La Gorge, Fata Morgana – par Jean-Paul Rogues
Avec La Gorge, Pierre Bergounioux entre dans le cercle de ceux, les rares qui, par leur prose, nous font franchir un seuil…
Ariel Spiegler, Le Mélange de l’eau, Corlevour – par Anne Mulpas
Soir de février — 33e jour d’hiver sans pluie, souffle Iannis devant la Nouvelle Étoile
Au lendemain matin, François notre café-retrouvailles un poème…
Luis Mizon, par Sylvestre Clancier
Notre ami, le poète Luis Mizon, membre de l’Académie Mallarmé, nous a quittés à l’âge de 80 ans, le 30 décembre dernier.
Stéphane Barsacq, Solstices, Corlevour – par Pierrick de Chermont
Faut-il s’intéresser à nouveau à la Morale, entendue comme un pan de la littérature où une voix exprime sa vie intérieure sous forme de monologue, d’interrogations, de quête, de résolutions ; parlant de sa vitalité et de sa misère…
François Sureau, Un an dans la forêt, Gallimard – par Pierrick de Chermont
Blaise Cendrars. Un nom, un un-ivers, et pourtant il dégage une telle prolixité qu’il décourage toute tentative d’approche. En effet, quoi de commun entre la Prose du Transsibérien, Poèmes élastiques, Moravagine, Pâques à New York, L’Or, La main coupé, Petits contes nègres, etc. ?
Ervé, Écritures carnassières, Maurice Nadeau, coll. à vif – par Pierrick de Chermont
S’il est un livre à lire en 2023, c’est bien celui d’Ervé, un récit-témoignage construit par fragments, un texte à hauteur d’homme. Une vie de dignité depuis la DDASS jusqu’aux trottoirs, avec ses défonces, ses couches de vêtements…
Séverine, L’insurgée, L’échappée – par Charles Jacquier
Sympathisante libertaire et proche de Jules Vallès, Sévérine (Caroline Rémy, dite – 1855-1929) fut l’une des premières femmes journalistes. Au cours de sa vie, elle écrira plus de 6 000 articles…
Jack London, La peste écarlate, Libertalia – par Charles Jacquier
Publié en 1912, ce court roman d’anticipation méconnu de Jack London (1876-1916) imagine le sort de l’humanité, ou de ce qu’il en reste, quelques dizaines d’années après qu’elle a été frappée par un virus meurtrier.
Guy Debord, Histoire, L’échappée – par Charles Jacquier
Après les volumes Stratégie, Poésie etc., Marx Hegel (voir Phoenix, n° 32 & 36), ce nouveau volume des fiches de lecture de Guy Debord, conservées à la Bibliothèque nationale de France, est consacré à l’histoire.
Étienne Faure, Vol en V, éditions Gallimard – par Anne Gourio
Note de lectureComme on suit, fasciné, la trajectoire des oiseaux migrateurs, le dernier recueil d’Etienne Faure puise dans le ballet aérien de leur « vol en V » un sens de l’élan, du franchissement, du frayage qui se nuance en légères et souples inflexions au fil des espaces traversés à...
Justyna Bargielska, L’enfant des dons, éditions LansKine – par Étienne Faure
C’est en version bilingue, grand luxe en ces temps, que le sixième recueil de la poète polonaise, Justyna Bargielska, est présenté par Isabelle Macor, traductrice, qui donne quelques repères décisifs en postface pour une entrée en matière dans ces trente-trois textes…
Frédérique Guétat-Liviani, Il ne faudra plus attendre un train, éditions LansKine – par Étienne Faure
Ce recueil emprunte son titre à l’une des trois parties qui le composent : si c’était le cas, (passe) ; il ne faudra plus attendre un train. En découvrant cette composition, on pense spontanément à un ensemble où viendrait s’intercaler le texte de (passe). Puis l’œil et l’oreille distinguent vite une même voix, dans ces deux pans, deux partis pris formels différents dans le cheminement de l’écriture de Frédérique Guétat-Liviani.
Eric Villeneuve, Tache jaune Monochrome bleu Sorte de blanc, éditions LansKine – par Étienne Faure
Eric Villeneuve est-il un grand enfant, nourri aux contes et au Danemark d’Andersen, entre Odense et Skagen ? Cet auteur qu’on a pris l’habitude de lire sous la rubrique « roman », livre ici un recueil un rien hybride qui prend son départ dans la force des mots, leur indépendance, dont, à la source, ceux de « Jensens, Brohus Odense ».
Thierry Romagné, Trois feux de langue, éditions Rehauts – par Étienne Faure
Un recueil qui commencerait par « Ahh, ahh, brr ! » et se clôturerait par « enfin en feu » serait bien prometteur. Un texte polyglotte prêt à tout. C’est en effet ce qui arrive au lecteur en découvrant cet étonnant et riche ensemble dont certains poèmes, pour notre bonheur, avaient d’abord paru dans plusieurs revues.
Le journal des poètes 1/2022 – par Nicolas Rouzet
Le Journal des Poètes, numéro 1 de l’année 2022 – La langue est aussi frontière, nous dit Jean-Marie Corbusier, pratiquer un art, c’est toujours ouvrir quelque chose qui est présent autour de nous. C’est d’un même esprit d’ouverture que témoignent les poètes luxembourgeois auxquels est consacré le dossier présenté par Florent Toniello. Ici les langues dépassent les frontières, elles se chevauchent…