Ukraine : deux poèmes de Lyuba Yakimchuk
©Dirk Skiba
Lyuba Yakimchuk est poète, scénariste et auteure dramatique. Elle est née en 1985 à Pervomaisk, dans la région de Luhansk et vit actuellement à Kyiv. Son recueil Apricots of Donbas, qui évoque la survie des gens en temps de guerre, a reçu aux États-Unis l’International Poetic Award de la fondation Kovalev. La maison de ses parents est dans le Donbass occupé. Sa deuxième maison est à Kiev où, après avoir mis leur jeune fils en lieu sûr, elle revient avec son mari afin de combattre l’agression.
« Il n’y a pas de poésie sur la guerre, seule la décomposition »
Deux poèmes de Lyuba Yakimchuk
couteau
avec des proches nous partageons la table, avec les ennemis
des tombes
— rien que des tombes
l’un d’eux venu partager
une tombe avec moi
me dit :
– je suis plus grand que toi
je suis plus dur que toi
je suis plus fort que toi
son couteau appuie son couteau contre mon ventre et dessous
presse ce couteau presse
comme un ressort
mais
il est plus petit que nous
il est plus faible que nous
car il n’a qu’un couteau
et nous sommes plusieurs autour de la table
et à chacun son propre « mais »
et à chacun sa propre part
il me dit
ma lame est la plus acérée
ma lame est la plus solide
pouf, pouf, pouf
le mort ce sera toi
bougez pas qu’ils disent bougez pas
on reste là autour de la table
chacun avale sa balle
à-même le canon
on en sert une à l’ennemi, aussi
Traduit par Marc Delouze à partir d’une traduction de l’ukrainien en anglais par Svetlana Lavochkina
Deux poèmes de Lyuba Yakimchuk
comment j’ai tué
je reste en contact téléphonique avec ma famille
mes communications avec toute ma famille sont sur écoute
sont curieux de savoir qui je préfère, maman ou papa ?
ce qui fait pleurer grand-mère dans l’appareil ?
intrigués comme toujours par ma sœur en guerre avec son copain
qui était aussi mon copain
toutes mes communications sont des liens du sang
mon sang est sur écoutes
ils veulent connaitre le pourcentage d’Ukrainiens
de Polonais, de Russes, s’il y a des Tziganes
ils veulent savoir quelle part j’en donne, et à qui
ils veulent savoir si c’est mon taux de glycémie
ou bien le toit qui s’effondre sur moi
et si on peut élever des frontières à partir des lambeaux
des centaines de tombes ont été creusées entre moi et ma mère
et je ne sais comment les enjamber
des centaines d’obus de mortier volent entre moi et mon père
et je ne peux les prendre pour des oiseaux
les portes en fer d’un sous-sol, coincées par une pelle
me séparent de ma sœur
un écran de prières pend entre moi et ma grand-mère
de minces murs soyeux étouffant les bruits, et je n’entends rien
c’est si facile de rester en contact par téléphone
d’ajouter des minutes sur ma carte, nuits sans repos, Xanax
ça doit être grisant
d’écouter le sang de quelqu’un battre dans vos écouteurs
tandis que mon sang se transforme en balle
BANG!
Traduit par Marc Delouze à partir d’une traduction de l’ukrainien en anglais par Oksana Maksymchuk et Max Rosochinsky.